A neuf jours des élections européennes, le gouvernement a subi vendredi la première dégradation de la note souveraine de la France par S&P depuis 2013. Si le revers politique est pesant, qu’en sera-t-il des conséquences économiques ?

 

L’agence de notation américaine Standard & Poor’s a annoncé ce vendredi soir avoir révisé à la baisse la notation de la dette française , de « AA » à « AA – », affirmant ne pas croire à un retour du déficit sous 3 % en 2027. Il s’agit d’un gros revers politique pour le gouvernement et la majorité à quelques jours des élections européennes. Mais quel peut être l’impact économique ?

1. Que note S&P ?

Il s’agit de la première dégradation de la note française depuis 2013 par S&P. L’agence américaine accompagne cette note d’une perspective « stable », indiquant qu’elle n’envisage pas de modification de celle-ci à moyen terme.

Ce score évalue la capacité d’un pays à rembourser ses dettes. Une bonne note écarte la perspective d’un défaut de paiement : elle est gage de confiance pour les investisseurs. La meilleure note symbole d’une excellente gestion est AAA, la pire est C ou D (défaut de paiement) selon les agences : S&P, Moody’s et Fitch pour les principales.

2. Pourquoi une telle décision ?

Pour justifier sa décision, S&P explique que « la dette publique française en proportion du PIB va augmenter en raison des déficits plus importants que prévu en 2023-2027 », une vision plus sombre que lors de sa précédente analyse, en décembre. L’agence ne croit pas non plus que le déficit sera ramené sous 3 % du PIB en 2027, comme le gouvernement le prévoit (2,9 %), et table même sur 3,5 % à cette date.

Le risque de dégradation de la note souveraine planait depuis plusieurs trimestres, le précédent « AA » étant assorti depuis décembre 2022 d’une « perspective négative ».

La note de la France « a changé parce que notre niveau d’endettement a augmenté », a indiqué samedi Bruno Le Maire dans une vidéo sur X. « Cest un choix que je revendique », a-t-il continué, qui a permis de » sauver l’économie française face à la crise du Covid et face à la crise de l’inflation ».

3. Y a-t-il des précédents ?

Le passage de « AA » à « AA- » a un air de déjà-vu pour le gouvernement français : c’est ce que lui avait fait vivre fin avril 2023 l’agence Fitch . Ses analystes évoquaient alors « des déficits budgétaires importants et des progrès modestes » concernant leur réduction.

Certes désagréable, l’épisode de vendredi est moins marquant que la perte par la France de son triple A – S&P et Moody’s ont privé Paris de ce sésame en 2012, Fitch en 2013.

Parmi les trois grandes agences de notation, Moody’s est désormais la plus flatteuse avec la France, lui attribuant la note de « Aa2 », soit l’équivalent d’un » AA » pour S&P.

4. Où se place la France par rapport à ses voisins ?

La France se situe un peu au milieu de tableau parmi les pays développés. Parmi les grands pays européens, la France est moins bien notée par S&P que l’Allemagne (triple A) ou encore l’Autriche (AA +). Elle reste cependant mieux placée que l’Espagne (simple A) ou l’Italie (triple B).

Quel que soit leur profil, tous les pays européens sont confrontés depuis 2022 à une nette remontée des taux d’intérêt, qui renchérit le coût de leur dette.

5. Quels impacts ?

« Il n’y aura pas d’impact sur le quotidien des Français. Prenons la juste mesure de cette décision. Nous restons à un niveau de notation très bon. C’est comme si nous étions passés de 18 à 17 sur 20 ! Notre dette trouve facilement preneur sur les marchés », a rassuré Bruno Le Maire. « Il n’y aura pas d’augmentation d’impôts » en 2025, a-t-il ajouté ce samedi sur BFMTV, « l’augmentation des impôts ne fait pas partie de la palette des options » du gouvernement.

Interrogé sur une possible désindexation des pensions de retraite et des prestations sociales sur l’inflation l’an prochain, une voie d’économies potentielle, le locataire de Bercy a répondu qu’aucune décision n’avait été prise. « Pour 2025 aucune décision n’a même encore été préparée puisque je les préparerai avec les oppositions », a-t-il précisé en vue du prochain projet de loi de finances, indiquant par ailleurs qu’il allait » regarder toutes les options qui permettent de rétablir les finances publiques en 2027 ».

Le ministre a mis en avant les 10 milliards d’euros d’économies dans les dépenses de l’Etat décidées en début d’année et sa volonté d’aller chercher 10 milliards de coupes supplémentaires en 2024.

Le risque inhérent à une rétrogradation est un mouvement de défiance des investisseurs et un alourdissement de la charge de la dette. Mais avec un double A même suivi d’un signe moins, la capacité de la France à honorer les échéances de sa dette reste « très forte » selon les critères de l’agence de notation.

« Les expériences passées […] montrent que ça n’a pas vraiment de répercussions », analyse l’économiste d’Asterès Sylvain Bersinger. « Pour l’instant la dette française est toujours recherchée, c’est une dette qui est toujours considérée comme une des plus sûres du monde, l’Etat français n’a pas de problème aujourd’hui pour lever de la dette », continue-t-il.

6. Et maintenant ?

Après avoir tenté de faire profil bas ces dernières semaines, l’exécutif va devoir accélérer dans sa quête d’économies budgétaires forcément impopulaires. Le projet de loi de finances pour 2025 aura sans doute besoin de 20 à 25 milliards d’économies pour être bouclé, dans un contexte où l’exécutif est menacé de motions de censure à l’Assemblée nationale par tous les bancs de l’opposition.

Le débat lundi autour des motions déposées par le RN et LFI – qui ont peu de chance d’aboutir – donnera un avant-goût des semaines difficiles qui attendent le gouvernement, face à des oppositions sans doute remontées après la décision de S&P.

Par Les Echos avec AFP

Publié le 1 juin 2024 à 10:10Mis à jour le 1 juin 2024 à 12:32