La liberté d’expression permet-elle à un cadre de critiquer la politique de son entreprise ainsi que les diverses méthodes de management de son employeur ? C’est la question à laquelle la Cour de cassation répond dans cet arrêt du 9 novembre 2022.

 

Le litige concerne la contestation de la rupture de son contrat de travail par un salarié ayant été promu Directeur puis licencié pour insuffisance professionnelle par son employeur.

 

Ce dernier lui reproche en partie son comportement critique et son refus de partager les valeurs de la société, notamment la valeur « fun and pro ». Celles-ci consistent notamment à la participation à la célébration des succès, générant une consommation d’alcool excessive des participants, encouragés par les associés du cabinet de conseil et entraînant divers excès et dérapages.

 

La Cour de cassation est venue rappeler que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Le caractère illicite du motif de licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

 

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Chambre sociale selon laquelle le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Cass. soc. 22-6-2004 n°02-42.446 ; Cass. soc. 16-2-2022 n°19-17.871).

 

L’arrêt vient donc réaffirmer le principe de liberté d’expression, liberté fondamentale permettant à un salarié d’exprimer son opinion vis-à-vis des pratiques de son entreprise.

 

Cette jurisprudence s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’une autre décision rendue quelques mois auparavant (Cass. soc., 29 juin 2022, no 20-16.060)[1].

 

Le message de la Cour de cassation semble clair, en vertu de leur liberté d’expression, les salariés peuvent exprimer librement leurs opinions sur leur Direction sans que cela ne puisse constituer un motif de licenciement !

 

Rappelons tout de même qu’il existe une limite à l’exercice de cette liberté d’expression : l’abus de droit. Sont reconnus comme abusifs, les propos injurieux, diffamatoire, ou excessifs (Cass. soc., 9 nov. 2004, n°02-45.830[2] ; Cass. soc., 7 oct. 1997, no 93-41.747[3]). Ainsi, sauf abus, il ne peut être apporté à la liberté d’expression des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (Cass. soc., 24-11-21, n°19-20.400[4]).

 

Enfin, l’arrêt met également en exergue un principe constant de la Chambre sociale selon lequel : en cas de pluralité de motifs de licenciement, si un seul est susceptible d’entraîner l’annulation, alors la nullité du licenciement doit être prononcée (Cass. Soc., 8 juill. 2009, no 08-40.13)[5].

 

En conclusion, en réaffirmant la liberté d’expression comme une liberté fondamentale, l’arrêt admet qu’elle puisse permettre la critique des valeurs de l’entreprise au même titre que la possibilité pour le salarié d’exprimer une opinion et de tenir des propos sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, dès lors que ce dernier ne tient aucun propos abusif, injurieux ou diffamatoire.

Abdou-Paul BOUSSO / Juriste IDF 10 mars 2023

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